Chaque échange, qu’il soit humain ou numérique, commence par une question. Dans une conversation avec un collègue, un expert ou un ami, la première phrase que nous prononçons donne le ton : elle oriente la discussion, ouvre certains chemins et en ferme d’autres. Les assistants basés sur l’intelligence artificielle, comme Microsoft Copilot ou ChatGPT, fonctionnent exactement de la même manière.
Le prompt initial – c’est-à-dire la manière dont nous formulons notre demande – agit comme une graine cognitive. Il influence la direction de la réponse et donc de la discussion toute entière, ses nuances et parfois même ses limites. Or, en tant qu’êtres humains, nous sommes traversés par des biais cognitifs : ces raccourcis mentaux qui simplifient notre pensée, mais qui peuvent aussi la déformer. Quand nous rédigeons un prompt, ces biais se glissent dans nos mots et influencent directement la réponse de l’IA.
Comprendre ces biais et apprendre à les contourner est donc essentiel pour utiliser pleinement la puissance des assistants IA.
Le biais de confirmation : le plus insidieux
Définition et exemples dans les médias
Le biais de confirmation consiste à rechercher, interpréter et privilégier les informations qui confirment nos croyances préexistantes, tout en ignorant celles qui les contredisent.
- Dans la presse, cela se traduit par des choix éditoriaux orientés : un média peut mettre en avant des réussites sociales d’un gouvernement, tandis qu’un autre soulignera ses échecs économiques, en fonction de son lectorat.
- Durant la pandémie de COVID-19, certains journaux insistaient sur les statistiques alarmantes (décès, saturation des hôpitaux), tandis que d’autres privilégiaient les effets économiques des confinements. Les deux parlaient de la même réalité, mais selon l’angle qui confirmait leurs orientations initiales.
Dans l’intelligence artificielle
Les IA amplifient parfois ce biais :
- Les algorithmes de recommandation renforcent ce que nous pensons déjà. Une recherche « vaccins dangereux » génère plus de contenus alarmistes qu’informatifs.
- Les assistants conversationnels peuvent aussi tomber dans ce travers. Si l’on demande : « Pourquoi le télétravail détruit-il la productivité ? », la réponse ira souvent dans le sens de la question, au lieu de la remettre en question.
Mais ce biais peut aussi être utilisé positivement :
- En formation, valider des intuitions correctes renforce la confiance d’un apprenant.
- En adoption technologique, confirmer des pratiques efficaces chez un utilisateur peut l’encourager à explorer davantage l’outil.
Comment l’éviter avec Copilot et ChatGPT ?
- Reformuler la question : au lieu de « Pourquoi le télétravail réduit-il la productivité ? », demander « Quels sont les arguments pour et contre le télétravail sur la productivité ? ».
- Confronter des scénarios opposés : « Résume les retours positifs et négatifs de ce courriel client. »
- Demander explicitement la contradiction : « Quelles sont les objections possibles à cette réponse ? »
Ainsi, l’IA devient non plus un miroir de nos biais, mais un outil de débat contradictoire.
Les autres biais cognitifs dans les prompts
Le biais de confirmation n’est pas seul. De nombreux autres biais peuvent influencer nos prompts et, par conséquent, les réponses de l’IA. Le tableau ci-dessous récapitule les principaux :
| Type de biais | Explication | Exemple concret | Formulation de prompt pour éviter le biais |
|---|---|---|---|
| Confirmation | On cherche des infos qui confirment ce qu’on croit déjà. | Chercher uniquement des articles qui critiquent une réforme parce qu’on est déjà contre. | « Donne-moi les arguments pour et contre la réforme X, en citant des sources officielles. » |
| Disponibilité | On surestime ce qui est facile à se rappeler ou ce qu’on a vu récemment. | Croire que les accidents d’avion sont fréquents après avoir vu des reportages. | « Fournis-moi les statistiques globales et compare-les avec d’autres moyens de transport. » |
| Représentativité | Juger sur des stéréotypes au lieu des probabilités réelles. | Penser qu’un homme timide est plus sûrement bibliothécaire qu’ingénieur. | « Compare la probabilité statistique réelle plutôt que l’intuition basée sur un profil. » |
| Rétrospectif (hindsight bias) | Après coup, on croit que c’était prévisible. | Dire après un krach boursier : « C’était évident. » | « Analyse les éléments disponibles avant l’événement et explique pourquoi ce n’était pas évident. » |
| Récence | On accorde trop d’importance aux événements récents. | Un manager évalue surtout le dernier mois de travail d’un employé. | « Fais une analyse couvrant toute la période, pas uniquement les données récentes. » |
| Primauté | On accorde trop d’importance à la première information reçue. | La première impression d’un candidat influence toute l’évaluation. | « Présente les informations dans un ordre équilibré. » |
| Conformisme | On adopte l’avis du groupe même s’il est faux. | Dans une réunion, tout le monde approuve une idée erronée. | « Montre-moi des arguments alternatifs, même minoritaires. » |
| Autorité | On croit quelqu’un parce qu’il a une position d’autorité. | Croire une publicité avec un acteur en blouse blanche. | « Vérifie les preuves et les sources indépendantes plutôt que l’avis d’une autorité. » |
| Ancrage | La première valeur donnée influence le jugement. | Trouver un vin meilleur parce qu’on l’a annoncé à 200 €. | « Donne une évaluation indépendante sans utiliser le premier chiffre fourni. » |
| Auto-complaisance | On attribue ses réussites à soi-même et ses échecs à des causes externes. | « J’ai réussi car je suis brillant, j’ai échoué car le prof est injuste. » | « Analyse de façon équilibrée : quelles causes internes et externes ont contribué ? » |
| Dunning-Kruger | Les incompétents se surestiment, les compétents doutent. | Un débutant croit pouvoir coder une appli complexe en 1 semaine. | « Explique les étapes et compétences nécessaires, et les risques sous-estimés. » |
| Optimisme | On pense que de bonnes choses vont plus probablement nous arriver. | « Ça n’arrive qu’aux autres » pour les maladies. | « Évalue objectivement les risques avec des données statistiques. » |
| Statu quo | Préférence pour ne rien changer. | Garder un logiciel dépassé par habitude. | « Compare les avantages et inconvénients du changement vs statu quo. » |
| Coût irrécupérable | Continuer parce qu’on a déjà investi. | Continuer un projet raté car on a déjà mis 2 M$. | « Évalue le projet comme si on partait de zéro aujourd’hui. » |
| Négativité | Donner plus de poids au négatif qu’au positif. | Se rappeler une critique mais pas des compliments. | « Résume en séparant clairement points positifs et négatifs. » |
Conclusion
Les biais cognitifs sont inévitables : ils font partie de notre manière de penser, de simplifier le réel et de prendre des décisions rapides. Mais lorsqu’ils se glissent dans nos prompts, ils influencent directement les réponses de l’IA, comme ils influencent une conversation humaine.
La clé n’est pas de chercher à éliminer tous les biais – ce qui est impossible – mais de les reconnaître et de les contourner grâce à une meilleure formulation des prompts. En pratiquant une écriture consciente et équilibrée, nous transformons Copilot et ChatGPT en partenaires de réflexion capables non seulement de nous aider à aller plus vite, mais aussi de penser plus juste.


























