Et pourquoi il faut l’organiser comme un portefeuille
La plupart des organisations gèrent leurs projets, documents et réunions. Trop peu gèrent leurs conversations—alors qu’elles sont l’unité d’œuvre réelle de l’exécution : on avance en posant une question, on décide en échangeant une objection, on débloque un livrable par une clarification. Ce texte pose une définition opérationnelle de la conversation dans l’entreprise (orale, écrite, assistée par IA), en documente l’importance avec des sources robustes, puis propose une méthode concrète et un WIP conversationnel (Work-In-Progress) applicable dans Copilot, dans vos courriels et dans vos échanges oraux.
Le ton est volontairement direct : la dispersion nous ruine ; une conversation bien tenue, c’est une tâche qui se termine.
1) Définir « conversation » côté affaires
Conversation (au travail) : échange orienté vers un résultat, portant un but, des participants, un contexte, une échéance et un état d’avancement. Elle peut vivre à l’oral (réunion, coup de fil), à l’écrit (courriel, chat) et dans un assistant IA (Copilot) qui en résume, garde le fil et relie décisions et actions.
Cette approche s’inscrit dans la littérature managériale qui voit la conversation comme un mécanisme stratégique de pilotage (intimité, interactivité, inclusion, intentionnalité). Harvard Business Review
2) Pourquoi organiser les conversations ? Les chiffres qui piquent
- Fragmentation massive : la télémétrie Microsoft 365 montre qu’un employé est interrompu toutes les 2 minutes par un meeting, un courriel ou une notification. Difficile de garder un fil dans ces conditions. Microsoft
- Déluge de messages : un travailleur moyen reçoit 117 courriels par jour et 153 messages Teams par jour ouvré. Le volume n’est pas un mythe, c’est un système.
- Meetings multipliés : depuis 2020, les réunions/appels Teams par personne ont quasiment triplé (+192 %). Microsoft
3) Ce que la science nous dit sur nos limites (et donc sur la « capacité conversationnelle »)
- Mémoire de travail : nous maintenons activement ~4 ± 1 éléments ; pas 12, pas 20. Cela borne le nombre de fils qu’on peut vraiment tenir simultanément. Cambridge University Press & Assessment
- Résidu attentionnel : passer d’un fil à l’autre laisse l’esprit accroché au fil précédent, ce qui dégrade la performance sur le suivant. ScienceDirect
- Coût des interruptions : le travail fragmenté augmente le stress et la pression temporelle ; la reprise après interruption est coûteuse (le fameux « 23 min 15 s » popularisé par la presse vient de travaux de Mark et al. sur la fragmentation et la reprise). Moralité : multiplier les fils actifs tue la qualité. ics.uci.edu
- Rythmes circadiens : notre attention varie au fil de la journée (pics souvent en fin de matinée et en fin d’après-midi, selon le chronotype). Pour retenir le fil, mieux vaut synchroniser les échanges cognitivement exigeants avec ces fenêtres. PMC
4) « Combien de conversations peut-on traiter efficacement ? » — la réponse honnête, chiffrée et pratico-pratique
Il n’existe pas d’étude fixant un « nombre universel » de conversations efficacement tenues par personne et par jour/semaine/mois. On peut toutefois proposer des bornes opérationnelles en s’appuyant sur (i) la capacité de mémoire de travail (~4), (ii) le coût de bascule entre fils (résidu, interruptions), et (iii) les fenêtres d’attention utiles dans une journée standard.
Recommandation de WIP conversationnel
- Simultané (à un instant T) : 3 à 5 conversations chaudes tenues activement en parallèle. (Aligné sur ~4 ± 1 de Cowan, pour limiter le résidu de Leroy.) Cambridge University Press & Assessment
- Par jour : 8 à 12 conversations avancées (c.-à-d. lues, comprises, synthétisées et faites progresser d’au moins un cran). Ce créneau suppose 90–150 min de « vrai focus » cumulé et la discipline de regrouper les retours (sinon, l’interruption toutes les 2 minutes vous ramène vite à 0). Microsoft
- Par semaine (5 j.) : 40 à 60 conversations avancées.
- Par mois (20 j.) : 160 à 240 conversations avancées.
Ces fourchettes sont des plages d’efficacité, pas des plafonds absolus. Si vous êtes en rôle très interruptible (support temps réel, opérations), abaissez les bornes ; si vous travaillez en cycles longs (R&D), tendez vers le bas pour protéger des blocs de concentration. Les entrées de la littérature (Cowan, Leroy, Mark) justifient la prudence ; les télémétries Work Trend Index justifient la discipline. Cambridge University Press & Assessment
5) Méthode unifiée pour tenir le fil : la même logique dans Copilot, vos courriels et vos échanges oraux
L’idée : considérer chaque conversation comme un objet avec des champs stables, et laisser Copilot vous aider à résumer, lier et retrouver.
5.1. Le modèle de conversation (OCAR)
- Objectif : résultat attendu en une phrase (verbe d’action + critère de succès).
- Contexte : sources, liens, décisions antérieures.
- Actions : qui fait quoi, pour quand.
- Risques & Reste-à-faire : points ouverts, dépendances.
Pourquoi ça marche : OCAR réduit la charge mentale en « compressant » le fil (chunks), exactement ce que recommande la psycho cognitive pour rester sous le seuil des 4–5 éléments actifs. Cambridge University Press & Assessment
5.2. Les étiquettes minimales (à appliquer partout)
- Type : Décision / Information / Coordination / Création
- Horizon : Aujourd’hui / Cette semaine / Ce mois-ci
- État : Ouvert / Bloqué / Clos
- Prochain pas : un verbe, une date
5.3. Les gestes Copilot (adossés à des capacités réelles)
- Dans Outlook : « Résume le fil et extrais Décisions/Actions/Échéances » pour n’importe quel échange long ; Copilot produit un digest exploitable, parfait pour alimenter OCAR. Soutien Microsoft
- Dans Teams : après une réunion, utilisez Intelligent Recap de Copilot pour récupérer résumé, marqueurs de temps, tâches et éléments de suivi. C’est la façon la plus fiable de transformer l’oral en conversation traçable. Soutien Microsoft
- Dans Microsoft 365 Chat (Copilot Chat) : « Rappelle le fil OCAR de la conversation ‘Client X – Renouvellement’ et propose le prochain pas » ; Copilot consolide mails, fichiers et chats liés pour garder le contexte. TECHCOMMUNITY.MICROSOFT.COM
5.4. Les ponts avec vos outils
- Courriels ↔ Conversations : utilisez Copilot pour résumer puis collez la synthèse OCAR en en-tête du fil (le premier message « ancre »), ré-utilisée/raffraîchie à chaque avancée. Soutien Microsoft
- Oral ↔ Conversations : exigez transcription/recap Teams ; collez l’OCAR en tête du canal ou du document partagé. Soutien Microsoft
- Tâches : créez immédiatement les Actions extraites par Copilot dans Planner/To Do/Azure DevOps (copier-coller suffit ; l’important est la traçabilité et la date).
5.5. Les rituels d’hygiène
- Quotidien (2×15 min) : revue des chaudes (3–5) → actualiser OCAR + décider du prochain pas.
- Hebdo (30–45 min) : clôturer les fils sans reste-à-faire ; convertir les tièdes en tâches ou archiver.
- Anti-bruit : batcher les réponses (fenêtres dédiées), coupez les notifications durant les blocs focus (sinon votre journée redevient la courbe « une interruption toutes les 2 minutes »). Microsoft
6) Gouverner le WIP conversationnel (et expliquer la logique aux équipes)
Le WIP n’est pas une marotte ; c’est de la théorie des files d’attente. Trop d’items « en cours » allongent le délai moyen et saturent l’attention. C’est Little (L = λ × W), un des résultats les plus stables de l’ingénierie des flux ; en conversation, réduire le WIP abaisse le temps de cycle des décisions. pubsonline.informs.org
Côté pratiques agiles, limiter le WIP diminue le contexte switching et accélère la livraison. Planview
7) Annexes utiles (bases scientifiques et business)
- Mémoire / attention : Cowan (capacité ~4), Leroy (résidu attentionnel), Mark (coût des interruptions, travail fragmenté). Cambridge University Press & Assessment
- Rythmes journaliers : revues et papiers sur l’effet des rythmes circadiens sur l’attention et la performance ; bon sens organisationnel : placer les conversations « lourdes » dans vos fenêtres hautes. PMC
- Charge communicationnelle : Work Trend Index (emails, chats, interruptions ; explosion des réunions). Microsoft
- Copilot, fonctionnalités utiles : résumés de fils Outlook, recap Teams, Microsoft 365 Chat pour rassembler le contexte. Soutien Microsoft
8) En bref : la thèse et la méthode
- Thèse : la conversation est l’unité concrète de l’exécution. Sans fil gardé et WIP limité, elle se dissout en interruptions. Les métriques modernes (WTI) et la science cognitive convergent sur ce point : moins de fils actifs, mieux tenus, = plus de tâches finies. Microsoft
- Méthode : modéliser chaque conversation (OCAR), étiqueter, limiter le WIP (3–5 chaudes), ritualiser revue quotidienne/hebdo, et s’appuyer sur Copilot pour résumer, lier et retrouver le contexte à travers mails, Teams et documents. Soutien Microsoft
Mini-checklist prête à l’emploi
- Choisir vos 3–5 « chaudes » du jour (tout le reste en tiède ou froid). Cambridge University Press & Assessment
- Ancrer l’OCAR de chaque fil (Outlook, Teams, ou une page unique). Soutien Microsoft
- Demander à Copilot : « Résume et extrais Décisions/Actions/Échéances ». Soutien Microsoft
- Créer les tâches directement depuis la synthèse (Planner/To Do/DevOps).
- Batcher les réponses dans 2–3 fenêtres par jour ; notifications coupées en focus. Microsoft
- Revue hebdo : clore/archiver, réduire le WIP, recalibrer la semaine.
Mot de la fin
Le travail moderne est un fleuve de signaux. On ne l’apaise pas avec des slogans, mais avec une discipline de conversation : un vocabulaire commun (OCAR), des limites assumées (3–5 fils chauds), et un copilote (au sens propre) qui résume et recolle les morceaux. Organiser vos conversations, c’est reprendre le gouvernement de votre attention—et rendre aux tâches leur finalité : être faites.