Une question de finalité : une nation n’est pas une société commerciale
Avant d’entrer dans le vif du sujet, précisons d’emblée que cet article n’a pas vocation à exprimer une opinion politique partisane. Il s’agit plutôt d’une réflexion sur un principe fondamental qui dépasse largement le cadre de la politique : la vie des citoyens et l’organisation de la société. Gouverner un pays ne peut en aucun cas se résumer à appliquer les méthodes d’administration d’une entreprise, car les finalités mêmes d’un État et d’une entreprise sont profondément différentes.
Une entreprise vise avant tout la rentabilité. Son objectif premier est de générer du profit, d’assurer la satisfaction de ses actionnaires et d’optimiser ses coûts pour maximiser ses gains. À l’inverse, un pays a pour mission première de garantir le bien-être de ses citoyens, d’assurer la cohésion sociale et de permettre à chacun de s’épanouir. Si la prospérité économique est évidemment un facteur essentiel du développement d’une nation, elle n’est qu’un moyen au service d’un but bien plus vaste : la stabilité et le progrès social.
L’histoire nous enseigne les dangers d’un gouvernement orienté exclusivement vers les intérêts financiers
Dans l’histoire, plusieurs dirigeants ont tenté d’administrer leur pays en ne servant que les intérêts des financiers et des élites économiques. Ces choix ont souvent mené à des crises profondes et des soulèvements populaires.
L’Angleterre du XVIIIe siècle et le mercantilisme sans régulation
Sous le règne de George III, le gouvernement britannique a mis en œuvre des politiques strictement orientées vers la maximisation des revenus issus du commerce et des colonies, notamment en Amérique du Nord. Cette vision purement économique et la pression fiscale imposée aux colons ont contribué à la Révolution américaine. Ce qui devait être une simple gestion efficace du commerce a conduit à une rupture majeure et à la perte des Treize Colonies.
La France pré-révolutionnaire et le poids des privilèges économiques
En France, Louis XVI et ses prédécesseurs ont, pendant des décennies, favorisé les intérêts d’une bourgeoisie marchande en plein essor, tout en maintenant un système de privilèges aristocratiques qui pesaient sur le reste de la population. Le Tiers-État, écrasé sous les taxes et exclu des cercles décisionnels, s’est soulevé en 1789. L’incapacité du gouvernement à comprendre que la nation ne pouvait être gérée comme une entreprise où seuls les profits de quelques-uns comptaient a conduit à l’un des plus grands bouleversements sociaux de l’histoire.
La Russie post-soviétique et l’ultra-libéralisme des années 1990
Après la chute de l’URSS, la Russie a tenté une transition brutale vers une économie de marché, sous l’influence de conseillers occidentaux et avec l’aval d’une oligarchie émergente. L’idée était d’appliquer des principes de rentabilité et d’optimisation rapide des coûts à l’ensemble du pays, comme on le ferait pour une entreprise en difficulté. Résultat : une explosion de la pauvreté, des millions de citoyens précipités dans l’insécurité économique, et une concentration extrême des richesses entre les mains de quelques oligarques. Ce chaos économique a profondément déstabilisé la société russe et favorisé l’émergence d’un régime autoritaire qui promettait de ramener l’ordre.
Un pays n’est pas une entreprise : on ne choisit pas où l’on naît
Un autre aspect essentiel qui différencie un pays d’une entreprise est la nature même de l’appartenance à chacun d’eux. Quand on postule pour un emploi, on choisit d’intégrer une organisation en acceptant ses règles et ses objectifs. On peut aussi la quitter si elle ne nous convient plus. En revanche, on ne choisit pas où l’on naît. Un citoyen ne peut pas être traité comme un employé que l’on licencie sous prétexte qu’il ne contribue pas assez à la rentabilité collective.
Une société ne peut fonctionner uniquement sur une logique de performance et de compétitivité, car elle repose aussi sur des valeurs humaines fondamentales : la solidarité, la transmission culturelle, l’éducation, la protection des plus faibles. C’est là que se situe la grande différence entre une nation et une entreprise : l’État a pour mission de protéger et d’inclure chacun, y compris ceux qui ne sont pas immédiatement « rentables » d’un point de vue économique (enfants, personnes âgées, malades, personnes en situation de handicap). Dans une entreprise, une baisse de productivité entraîne souvent des licenciements. Dans un pays, l’exclusion de certains citoyens n’est tout simplement pas une option moralement et socialement viable.
Une gestion trop brutale mène inévitablement à des fractures sociales
Appliquer des méthodes strictement économiques à la gestion d’un pays mène inévitablement à des tensions extrêmes. Lorsqu’une entreprise ferme une usine pour maximiser son profit, elle génère des licenciements. Ces décisions, bien que parfois nécessaires pour la survie de l’entreprise, ont des conséquences dramatiques sur la vie des employés et de leurs familles. Quand ces logiques sont appliquées à l’échelle nationale, elles brisent des communautés entières et alimentent la colère sociale.
Là réside le danger d’un raisonnement purement financier dans la gouvernance d’un pays : si les décisions ne prennent en compte que des objectifs comptables, elles oublient l’essence même du rôle d’un État, qui est d’assurer la cohésion sociale et le bien-être collectif. Des familles se retrouvent divisées, des personnes perdent tout repère, et des tensions grandissent au sein même des foyers. Les parents qui ont voté pour des mesures conduisant à des licenciements massifs pourraient voir leurs propres enfants en subir les conséquences et en nourrir de la rancœur.
Or, la famille est un socle fondamental dans toute société. Elle ne peut être comparée à un groupe de collègues de travail, aussi proches soient-ils. La relation familiale repose sur des liens affectifs et des responsabilités mutuelles qui vont bien au-delà des simples obligations contractuelles d’une entreprise.
Conclusion : une nation ne peut se réduire à un bilan comptable
Gérer un pays comme une entreprise, en recherchant uniquement l’efficacité économique et la rentabilité, est une vision dangereusement simpliste qui néglige les réalités humaines. L’histoire a montré à de nombreuses reprises que les gouvernements qui privilégient uniquement les intérêts financiers au détriment du bien-être de leur population finissent par provoquer des crises sociales majeures.
L’État a un rôle bien plus complexe que celui d’un PDG. Il doit gérer non seulement des finances publiques, mais aussi des valeurs, une identité collective et un tissu social. Il est le garant d’un équilibre subtil entre économie et justice sociale. S’éloigner de cette mission, c’est s’exposer à voir des fractures profondes déstabiliser les fondations mêmes de la société.
Un pays n’est pas une entreprise, car une entreprise peut toujours fermer ou être restructurée. Un pays, lui, doit durer, évoluer et protéger ceux qui y vivent, aujourd’hui comme demain.
Mais dans un système démocratique, ce sont aux citoyens de se prononcer et de faire un choix. Encore faut-il que les citoyens aient tous les éléments en mains pour exercer ce choix de manière éclairée.